Édito du Vice-Bâtonnier

Publiée le 03.12.2024

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Mes chères Consoeurs,
Mes chers Confrères,

La formation est un élément central du brevet qui confère le droit d'exercer la profession. C'est précisément parce qu'elles ont suivi une formation poussée, et réussi un examen qui constate les connaissances et compétences acquises, que l'Etat peut avec légitimité conférer à certaines personnes le droit de porter le titre d'avocat, mais pas à d'autres. Sur cette base, la question des meilleures modalités de formation et d'examen, suscite depuis toujours les passions et alimente le débat. Sans cesse, on est à la recherche de la meilleure formule.

Jusqu'en 2011, les jeunes diplômés universitaires commençaient directement le stage de deux ans. Ils suivaient des cours de procédure (alors cantonale) en parallèle du stage, sanctionnés au bout d'un an par un examen qui comptait en vue de la note finale, puis passaient après trois mois de préparation un examen final redouté. Les jeunes commençaient ainsi leur activité sans disposer de certaines compétences centrales; or, l'apprentissage sur le tas a sans doute certaines vertus, mais engendre aussi des frustrations. Et l'examen final procédait à une sélection rigoureuse selon des modalités qui jetaient un doute sur son équité.

Ce constat a accouché d'un projet pionnier, inspirant et généreux : le bagage théorique complémentaire dont il y a besoin pour commencer à exercer la profession d'avocat et la formation pratique seraient désormais concentrés sur un programme de quatre mois dispensé au sein d'une école d'avocature professionalisante. Ce cursus pourrait se suivre avant le stage – ce n'est pas obligatoire aux termes de la loi, mais cette modalité s'est imposée en pratique – et serait sanctionné par un premier examen, au niveau duquel l'essentiel de la sélection serait fait. En contrepartie, le stage a été raccourci et la rémunération prévue par la charte rehaussée pour tenir compte des compétences d'emblée plus élevées des stagiaires.

Créée en 2011, l'Ecole d'avocature est un succès. En grande partie, les missions qui lui ont été données ont été accomplies. Chaque année, des centaines d'étudiants suivent un programme varié dispensé par des dizaines d'enseignants, professeurs, magistrats et avocats animés par l'envie de transmettre. Le taux d'échec aux examens du brevet a drastiquement baissé.

Le projet de loi déposé au début de l'année qui vise, à lire son titre, à dissoudre l'ECAV, en constitue en réalité un hommage, certes paradoxal, puisque loin de supprimer la formule d'un enseignement théorique et pratique suivi avant le début du stage, il propose de la pérenniser au sein d'un Master faisant partie de la formation universitaire.

Ce projet de loi, et les retours qu'on entend de la part de jeunes avocats et avocates qui viennent de suivre cet enseignement, révèlent toutefois certaines difficultés, qu'il ne faut pas occulter. Ces difficultés sont dues en partie à l'attractivité de cette école, unique en son genre en Suisse romande. Conçue pour 125 à 150 étudiants, l'ECAV en accueille jusqu'à 300 lors de certaines volées. Les frustrations se concentrent sur les modules pratiques, qu'on veut interactifs sous forme d'ateliers, favorisant les échanges, l'émulation, et donc l'apprentissage par le faire. Cette promesse ne peut être qu'incomplètement tenue. Certains critiquent aussi une école chère, des modalités d'examen peu pertinentes parfois, un message démotivant sur les difficultés du métier qui y serait parfois véhiculé, le tri que l'ECAV effectue en amont du stage, donc sur des critères forcément scolaires alors que certaines compétences pratiques qui font l'avocat n'ont pas encore eu le temps d'éclore et se développer chez certains. Sur ce dernier point, force est d'observer que l'histoire suit parfois un mouvement de balancier, puisqu'il y vingt ans, lorsque la sélection se faisait après le stage, on reprochait au système de laisser des candidats suivre un stage en vue d'une profession pour laquelle ils n'étaient jugés pas faits au final, au prix d'un rejet définitif traumatisant après cinq ans de labeur et d'espoirs.

Alors, quelles solutions, quelle évolution ? Nous savons l'Université de Genève, colonne vertébrale de l'ECAV, dynamique, proactive et à l'écoute des praticiens. Il n'est pas question de s'arc-bouter sur l'acquis, mais au contraire de saisir l'opportunité de remettre les choses sur la table, sans tabou, tant du point de vue des modalités de l'enseignement que de son contenu. En 2024, les compétences requises pour exercer son métier au plus proche des besoins de nos clients ne sont plus tout à fait les mêmes qu'elles étaient il y a vingt ans. Certains traits en demeureront toujours essentiels ; mais d'autres disparaissent, ou s'y ajoutent.

Dans ce contexte, l'Ordre des avocats a un rôle central à jouer. C'est en effet aux avocats de faire un retour très clair sur les besoins en termes de formation préalable que révèle l'exercice du métier.

Le Conseil de l'Ordre conduit des réflexions soutenues à ce sujet depuis l'été. Un groupe de travail spécifique a été créé. Des contacts ont été pris, à l'impulsion de notre Bâtonnière, afin d'échanger programmes et expériences. Il s'agit de faire des propositions concrètes, répondant aux soucis exprimés, et permettant à l'Ecole d'avocature d'évoluer, de façon à favoriser un stage stimulant et épanouissant et rendre la sélection de ceux autorisés à exercer la profession aussi juste que possible.

Et qui, mieux que les stagiaires et jeunes collaborateurs qui viennent d'être jetés dans le bain du métier, peuvent évaluer quelles compétences supplémentaires leur seraient utiles, respectivement quelles modalités d'enseignements les prépareraient ou accompagneraient mieux ? Quel maître de stage n'aura pas nourri des réflexions sur les compétences supplémentaires qu'il serait utile de développer avant même le début du stage, ou sur les modalités d'enseignement ? Qui d'entre nous, au fond, n'a pas un retour à faire sur la formation, question qui tient profondément au cœur de chacune et chacun d'entre nous ? N'oublions pas qu'après treize ans d'existence et un développement exponentiel du barreau, l'ECAV a été suivie par un grand nombre d'avocats qui exercent aujourd'hui, peut-être déjà plus que la moitié. Ainsi, une consultation de nos membres s'imposait. Le Conseil de l'Ordre est en train de mettre la dernière main à un sondage qui sera diffusé dans les jours qui viennent. Il permettra d'alimenter la réflexion du Conseil et de faire à l'ECAV un retour aussi pertinent que possible sur les besoins de la pratique.

Dans la mesure où ce sont les dernières Essentielles qui paraîtront avant 2025, c'est l'occasion pour moi, pour la Bâtonnière Sandrine GIROUD et pour le Conseil de l'Ordre dans son ensemble de vous souhaiter d'excellentes et reposantes fêtes de fin d'année[1].


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[1] Nous continuons le dialogue avec le Pouvoir judiciaire dans le but qu'elles soient troublées aussi peu que possible par des notifications de décisions judiciaires à partir du 15 décembre.